Antton Rouget
Journaliste
ELECTION PRESIDENTIELLE

E. Macron renouvelle l’État d’urgence pour la sixième fois

Défavorable à l’instauration durable de l’Etat d’urgence au début de sa campagne, le nouveau président de la République française, Emmanuel Macron, vient d’annoncer une prolongation de ce régime d’exception. Le Parlement sera saisi rapidement pour renouveler le dispositif jusqu’en novembre afin de préparer le vote d’une nouvelle loi antiterroriste.

Dans son livre-programme, édité en novembre 2016, le actuel président libéral Emmanuel Macron avait laisser paraître son opposition à la prolongation ad vitam aeternam de l’Etat d’urgence. Celui qui n’était alors qu’un outsider à l’élection présidentielle appelait ainsi à une sortie «dès que cela sera possible», précisant que «sa prolongation sans fin, chacun le sait, pose plus de questions qu’elle ne résout de problèmes».

L’Etat d’urgence –qui permet notamment au pouvoir administratif de passer outre le judiciaire– a en effet permis de nombreuses dérives (perquisitions chez des militants écologistes, interdictions de manifester de membres de la gauche radicale, assignations à résidence à rallonge pour des centaines de personne). Macron ajoutait alors: «Nous ne pouvons pas vivre en permanence dans un régime d’exception. Il faut donc revenir au droit commun […] et agir avec les bons instruments. Nous avons tout l’appareil législatif permettant de répondre, dans la durée, à la situation qui est la nôtre».

Installé à l’Elysée depuis le 14&punctSpace;mai, le nouveau chef de l’Etat a finalement changé d’avis. Ce mercredi, deux jours après l’attentat de Manchester, le président de la République a annoncé un renouvellement de l’état d’urgence qui arrivait à échéance le 15 juillet. À l’issue d’un conseil de défense réunissant son État-major, il a précisé que le Parlement serait saisi d’une prolongation jusqu’au 1er novembre en attendant le vote d’une nouvelle loi antiterroriste.

En mars, déjà, à la faveur de l’agression d’un militaire français à l’aéroport d’Orly (action d’un déséquilibré plus qu’un acte djihadiste), Emmanuel Macron avait laissé infléchir sa position: «Aussi longtemps que la sécurité de nos concitoyens le justifie, aussi longtemps que les perquisitions administratives que seul permet l’état d’urgence sont indispensables, il convient de maintenir l’état d’urgence».

Avec cette nouvelle reconduction, la France connaîtra donc une période de vingt-trois mois ininterrompus sous ce régime législatif d’exception instauré à la suite des attentats du Bataclan du 13 novembre 2015. Du jamais-vu, même pendant la guerre d’Algérie, période pendant laquelle ce dispositif a été créé.

L’Etat d’urgence permet notamment d’assigner à résidence toute personne «dont l’activité est dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics» et autorise «des perquisitions à domicile de jour comme de nuit» sans passer par l’autorité judiciaire. Au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, plusieurs dispositions sont malmenées par les nouveaux pouvoirs des autorités administratives. Atteinte au droit à la vie privée du fait des perquisitions notamment informatiques, atteinte à la liberté de circulation avec les assignations à résidence...

Depuis novembre 2015, la France s’est donc prémunie de toutes éventuelles poursuites devant la Cour européenne des droits l’homme en activant l’article 15 de la Convention qui permet à un État signataire de déroger à plusieurs obligations nées de ce texte, dès lors qu'il justifie d'un cas de guerre ou «d’un autre danger public menaçant la vie de la nation».

«La menace terroriste qui a justifié la déclaration initiale de l’état d’urgence et ses prorogations demeure à un niveau très alarmant qui nécessite de pouvoir disposer de mesures administratives renforcées en vue de lutter contre le terrorisme sur le territoire national» ont ainsi justifié les autorités.

L’instauration et la prolongation inédite de ce régime d’exception ne semble pourtant pas émouvoir la société française. Hormis quelques associations de droits de l’homme et des cas particuliers (personnes victimes de perquisitions ou d’assignation ayant saisi les tribunaux), la majorité de la population approuve les yeux fermés la restriction de leurs droits pour leur sécurité. Y compris pour une durée indéterminée.