Antton ROUGET
Journaliste freelance
LE «PANTOUFLAGE», UNE HABITUDE FRANÇAISE

Le «scandale Barroso» cache une pratique habituelle en France

Un conseiller économique du président de la République nommé dans une grande banque française, le directeur général du Trésor chez un fond d’investissement aux Îles Caïmans ou le chef de la communication du ministre des Transports parti chez Uber: la France s’indigne du «scandale Barroso» mais oublie de dénoncer ses propres pratiques.

Un «scandale», un «acte honteux» ou une nomination qui «bafoue les principes de la démocratie». La classe politique française n’a pas manqué de vigueur pour dénoncer le stupéfiant recrutement, début juillet, de José Manuel Durao Barroso dans la très exemplaire banque Goldman Sachs.

Dans ce concert de critique même François Hollande a fini par laisser éclater sa colère, dans une modération qui lui est toute personnelle: «C'est juridiquement possible mais c'est moralement inacceptable». Et le très discret secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, Harlem Désir, absent des écrans radars depuis sa nomination il y a plus de deux ans, est aussi sorti de sa réserve en à Barroso de refuser de travailler pour la banque: «M. Barroso fait le lit des anti-européens. Je l'appelle donc solennellement à renoncer à ce poste».

Barroso n’en a sans doute cure des remontrances de Désir. Mais le départ de l’ancien président de la Commission européenne dans la banque qui a maquillé les comptes de la Grêce pendant des années a relancé le débat sur le “pantouflage” dans les grands groupes industriels ou établissements financiers.

Les socialistes français du Parlement européen ont d’ailleurs immédiatement exigé «une révision des règles pour empêcher de tels recrutements d’anciens Commissaires européens» dénonçant un «conflit d’intérêt» dans la nomination . Un responsable politique ou haut fonctionnaire, officiellement dévoué au bien public, qui rejoint spontanément le privé pour faire jouer son carnet d’adresse: un conflit d’intérêt ? Alors la France en est contaminée. Surtout en ce moment.

Car à la veille de chaque alternance politique événement très pausible en 2017 c’est le même manège. Des dizaines de conseillers ministériels ou dirigeants de grandes adminstrations se mettent à l’abri, avec l’aval des responsables politiques qu’ils ont accompagné, dans les conseils d’administration de grands groupes.

Il en va ainsi de Bruno Bézard, directeur général du Trésor, le poste le plus important du ministère de l’Economie et des Finances, récemment parti dans un fonds d’investissement franco-chinois, Cathay Capital, ayant des activités aux Îles Caïmans. De Grégoire Kopp, ex-conseiller en communication du ministre des Transports, recruté par Uber. De Julien Pouget, actuel conseiller chargé des dossiers économie, industrie et numérique auprès de François Hollande, qui devrait faire ses cartons pour rejoindre le groupe Total. Ou encore d’une autre conseillère économique du président, Laurence Boone, nommée chez la banque Axa en janvier. La liste n’est pas exhaustive.

Et le recasage des conseillers et hauts fonctionnaires à la veille des élections n’est pas l’apanage de la gauche. Pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, un cas a particulièrement défrayé la chronique, illustrant à son paroxysme la porosité de la haute fonction publique et des milieux d’affaires. Ancien secrétaire général adjoint de la Présidence, François Pérol a été chargé du suivi, dans le cadre de ses fonctions élyséennes, de la fusion de la Caisse d'épargne et de la Banque populaire «en donnant des avis ou en proposant des décisions aux autorités compétentes». Or, le jour où le projet a été entériné, Pérol s’est retrouvé lui même bombardé à la tête de l’établissement bancaire. Poursuivi pour «prise illégale d’intérêt», l’ancien conseiller a été relaxé en première instance en septembre 2015 mais le parquet a fait appel de cette décision jugée «incohérente» par les parties civiles.

Ce jugement illustre la difficulté des pouvoirs publics à juguler le “pantouflage” ou leur tolérance face à ce phénomène.

À l’occasion des débats sur la “loi Sapin 2” relative à la transparence et à la lutte contre la corruption, des députés ont ainsi suggéré de resserrer le contrôle des nominations de hauts fonctionnaires. Mais, à l’inverse du «scandale Barroso», le sujet est ici loin de faire l’unanimité.