Mehdi OURAOUI
Membre du bureau fédéral 64 et du conseil national du PS
TRIBUNE LIBRE

Faire rayonner le Pays Basque ou le folkloriser, il faut choisir

Ces derniers mois, plusieurs événements ont étrangement souligné la folklorisation assumée à laquelle notre territoire est soumis. Le plus caricatural : le film Mission Pays Basque où se succèdent les clichés éculés sur des paysans incultes armés de lance-roquettes, au moment-même où les Artisans de la paix réussissent une mobilisation majeure de la société civile autour du désarmement. D'autres, plus imperceptibles. Par exemple la réflexion, en termes comptables uniquement, sur des Fêtes de Bayonne “bar géant à ciel ouvert” où les espèces sonnantes et trébuchantes résonneront bien plus que la voix désormais silencieuse du Bertsolari au balcon de la mairie. La vente du Trinquet du Golf à Biarritz, certes privé mais pièce importante de notre patrimoine culturel, à des promoteurs immobiliers pour lui substituer une résidence de luxe. C'est sans doute le comble : finir par vendre un des symboles les plus forts du Pays Basque pour alimenter la spéculation fondée sur une identité folklorisée. Demain, ne verra-t-on des pelotari que sur les produits de merchandising ?

La folklorisation du Pays Basque n'est pas un hasard, elle a des causes profondes, que chacun connaît. Au premier rang desquelles la recherche effrénée de la massification touristique – avec une augmentation entre 2004 et 2016 de 12 millions à 17 millions du nombre annuel de nuitées – qui encourage l'activité économique certes mais aussi une explosion de la spéculation immobilière, une forme “uberisée” d'évasion fiscale avec AirBnB, et des coûts importants pour les services publics, l'environnement, la qualité de vie des habitants du Pays Basque…

Il est louable de vouloir accueillir des touristes, mais que savent-ils vraiment de la langue, de l'histoire, de la culture basque et gasconne, peuvent-ils même différencier la Soule de la Biscaye à la fin de l'été en repliant leur parasol ? Avons-nous réussi à partager un vrai dialogue culturel, ou seulement à vendre des planches de jambon à 18 euros ? Jusqu'où peut aller le cercle “folklorisation – massification touristique – spéculation”, qui risque de nous enfermer dans une mono-activité et une image à l'international à la merci des modes ou de la conjoncture ?

Atouts réels

Assumons de faire rayonner notre territoire par ses atouts réels, par les formidables réalisations portées par les citoyens et leurs élus de toutes tendances ces dernières décennies, et celles que nous pouvons inventer ensemble. Faisons rayonner nos technologies de pointe: inventons une nouvelle “BaskTech”, comparable à la Bordeaux French Tech ou à l'IoT Valley de Toulouse, en nous adossant sur les succès de la Technopole Izarbel et d'Herrikoa, comme sur l'énergie d'Olatu Leku et des nouvelles start-ups. Portons, c'est une mission future pour la CAPB, une ambition culturelle assumée : de quoi devrions-nous rougir ? De la compagnie Elirale selectionnée au Certamen coregrafica ? De Kalakan aux côtés de Madonna ? Du magnifique film d'Eugène Green, Hitz egin ? Ou bien plutôt du peu d'œuvres bascophones programmées dans les grandes institutions culturelles en dépit de cette richesse foisonnante ?

Innovations démocratiques

Notre terre est aussi un exemple d'excellence agro-écologique qu'il faut davantage promouvoir. Nos agriculteurs ont su non seulement préserver notre patrimoine, comme en témoigne la vivacité de l'appellation Kintoa qui fêtait ses 15 ans récemment, mais aussi prendre une longueur environnementale d'avance en matière d'agriculture paysanne et durable. Combien d'autres territoires peuvent s'enorgueillir d'un Lurrama ? C'est d'ailleurs aussi une longueur d'avance démocratique, avec une place essentielle de la société civile, comme avec Euskal herriko laborantza ganbara.

Le Pays Basque est un laboratoire d'innovations démocratiques sans égal depuis plusieurs années, il suffit de penser en Iparralde à Bizi! et au tour Alternatiba, à l'Eusko, à Otsokop, Graines de Libertés avec ses jardins partagés, et tant d'autres initiatives stimulantes. A l'intérieur comme sur la côte, le Pays Basque Nord dispose de tous les atouts pour rayonner, à condition qu'on cesse de le folkloriser.