Francisco SANCHEZ RODRIGUEZ
Juriste en droit des étrangers - Doctorant en droit public
LETTRE OUVERTE à VINCENT BRU

“Selon le HCR, une personne ne devient pas un réfugié parce qu’elle est reconnue comme telle, ‘mais elle est reconnue comme telle parce qu’elle est réfugiée’ ”

Monsieur Bru,

Suite à la parution de votre article dans le journal Mediabask du 8 février 2018 intitulé “Une politique migratoire ferme et humaniste est possible”, je tenais à vous faire part de certaines observations concernant l’imprécision de certains termes employés. Comme vous le signalez dans les premières phrases de votre texte, “le débat sur l’asile et l’immigration est confus par manque de clarté”. Votre texte également. 

Premièrement, toutes les personnes forcées de quitter leur pays sont réputées réfugiées jusqu’à preuve du contraire. Car selon le HCR, une personne ne devient pas un réfugié parce qu’elle est reconnue comme telle, “mais elle est reconnue comme telle parce qu’elle est réfugiée”. Par conséquent, lorsque vous dites que “les demandeurs d’asile sont en grande majorité des réfugiés”, vous commettez une erreur manifeste d’appréciation. 

Deuxièmement, vous considérez que “les migrants qui ne relèvent pas du droit d’asile ont migré pour d’autres raisons. Ils ont fui la misère économique de leurs pays d’origine”, et expliquez que leur départ se fonde sur une misère indissoluble. Concernant cette notion de ‘migration irrégulière’, si l’on considère qu’elle renvoie au migrants “économiques”, la règle juridique devra s’emparer de ce qualificatif pour que nous puissions en apprécier l’objectivité et la vraisemblance. En l’état actuel du droit, rien ne nous y encourage. Ni vous, ni le ministre de l’Intérieur. Qui plus est, cette typologie est surannée pour ne pas dire obsolète. Si vous analysez de plus près le profil de celles et ceux qui quittent leur pays, il s’agit de réfugiés et de demandeurs d’asile potentiels, de mineurs non-accompagnés et de personnes malades.

Troisièmement, vous dites que “le devoir de la France est d’accompagner financièrement les pays du Sud – afin qu’ils puissent permettre à leurs populations de s’accomplir dans leur pays – et de lutter contre les filières de passeurs qui utilisent la misère humaine à des fins malhonnêtes”. Parlez-vous des fonds fiduciaires de l’UE ? Mais de quel pays tiers parlez-vous ? L’Éthiopie, le Mali, le Niger, le Nigeria ? Oui, vous parlez ce que nos institutions nomment “les pays d’origine et/ou de transit pour l’immigration illégale”. Ces pays du Sud que vous ciblez sont ceux qui émettent le plus de flux parce qu’ils sont l’oppresseur. Connaissez-vous leur système d’asile ? Et le sort de ceux qui sont empêchés de quitter ces pays par la gestion extraterritoriale des frontières extérieures ? Donc qu’entendez-vous financer ? 

Le sentiment intéressé de l’UE et de la France porté sur certains voisins africains n’est pas anodin. Au contraire. Leur engagement politique et opérationnel concernent avant tout les États qui émettent le plus de candidats à l’exil vers les frontières extérieures de l’Union européenne. Car selon le Conseil des affaires étrangères c’est l’importance de la pression migratoire et la position géographique de l’État qui jouent un rôle essentiel dans les choix de collaboration. Étrange humanité.

Prenons le cas des certains pays désignés comme prioritaires par la Commission. Ils sont pour chacun d’eux ou les oppresseurs ou des pays de transit pour un grand nombre de réfugiés.

Selon Amnesty International, plus de 1 400 individus se trouvent en prison au Niger pour appartenir à Boko Haram et risquent la torture. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU s’inquiète également du fait que “plus de 300 000 personnes déplacées avaient besoin d’une assistance humanitaire dans la région de Diffa” à la fin de l’année 2016

Concernant le Nigéria, la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle est une préoccupation importante qui touche de nombreuses adolescentes et femmes. Selon la CNDA, “certaines de ces femmes sont trompées par les recruteurs qui, pour les convaincre de rejoindre l’Europe, leur promettent des emplois dans des domaines divers mais légaux… Dans ces circonstances, elles ne découvrent l’activité à laquelle elles sont destinées qu’à leur arrivée en Europe”.

En ce qui concerne le Sénégal, le harcèlement sexuel des femmes, les mutilations génitales féminines, l’excision ou le mariage précoce et forcé, sont également des problèmes récurrents que rencontre la communauté féminine dans ce pays. 

Quant au Mali, HRW rappelle que des groupes armés ont commis une vague de meurtres dans le centre du pays depuis janvier 2017, ayant entraîné la mort d’une cinquantaine de personnes et le déplacement forcé de plus de 10 000 individus. 

En Éthiopie, les exécutions extrajudiciaires, le recours excessif à la force ou les enlèvements d’enfants, frappent impunément la société éthiopienne depuis la déclaration de l’état d’urgence en octobre 2016 par M. Teshome. D’ailleurs, Amnesty International rappelle que “le gouvernement a rejeté les appels du HCR et de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples demandant que des enquêtes indépendantes et impartiales soient menées sur les violations des droits humains commises dans le cadre des manifestations qui se sont déroulées dans plusieurs régions”.

Donc peut-on reprocher à tous ces exilés d’avoir décidé au prix de leur vie, de quitter leur propre pays ? Notre histoire le permet-elle ? Vous ne pouvez pas l’ignorer. Encore faut-il avoir compris ceux qui sont forcés de se déplacer.