Iñaki Egaña
TRIBUNE LIBRE

L’avant-dernier voyage de Jon Anza

Dix ans déjà se sont écoulés depuis que Jon Anza a pris ce train à Bayonne qui devait l’amener à Toulouse. C’était un samedi, le 18 avril 2009. Un voyage de trois heures et demie dont il n’est jamais revenu. Car Jon a disparu. Un de plus à ajouter sur cette liste inachevée commencée depuis des décennies. Il reste encore plusieurs centaines de familles basques qui cherchent toujours les siens dans des fossés, ou qui recherchent une piste dans les camps de la mort où ils furent transformés en cendre. Sans parler des derniers comme Pertur, Naparra, Hernandez et Popo Larre.

Le cadavre de Jon est apparu un 11 mars 2010 à la morgue de Toulouse. Onze mois dans un endroit d’où, apparemment, les investigations policières et judiciaires auraient dû trouver la réponse. Ce ne fut pas le cas. C’était au temps de la concertation très étroite entre Madrid et Paris. Des charges alignées, cousues depuis l’époque du GAL et les remises entre les polices. Les médailles et les récompenses à Madrid aux juges, policiers et agents antiterroristes français pour que la syntonie soit solide et bien dirigée par l’Espagne.

Quelques jours après sa disparition, ETA annonce que Jon Anza était un militant de l’organisation et qu’il se rendait à Toulouse avec une importante somme d’argent. Il effectuait des activités de coursier. Jon avait été incarcéré 21 ans dans les geôles espagnoles, accusé de diverses actions liées à son engagement militant. Originaire de Donostia, il vivait à Ahetze.

La version du ministre espagnol de l’Intérieur a été fabriquée en quelques jours à peine. Le titulaire, Alfredo Perez Rubalcaba était un des survivants de l’époque de Felipe Gonzalez et du GAL. Un vieux limier expérimenté dans les affaires publiques, privées, dans les cabinets et aussi dans les bas-fonds de l’Etat. Perez Rubalcaba proclama dans les médias que, d’après ses sources, Jon Anza s’était enfui avec l’argent de son organisation. Il le traitait de voleur. Et le média qui le diffusa accusa ETA de “balance” pour avoir révélé la militance de Jon. Des calomnies classiques de la contre-guérilla, parce qu’alors Jon Anza était déjà mort, dans la morgue de Toulouse, sans que personne, prétendument, ne l’ait identifié.

Peu après, Le Monde filtrait la nouvelle, il aurait pu avoir été séquestré par des agents espagnols. On a su aussi, que quelques mois avant, au moins quatre autres militants basques avaient été séquestrés par des mercenaires qui se faisaient passer pour des policiers ou vice-versa. Le modus operandi dans les enlèvements de Lander Fernandez, Alain Berastegi, Dani Saralegi et Juan Mari Mujika, ce dernier à Saint-Palais, suggérait comment celui de Jon Anza avait pu être.

Intercepté dans le train, il a pu être emmené dans un endroit inconnu où il termine agonisant des suites de son interrogatoire. Il était de santé fragile. Abandonné, il avait été admis à l’hôpital Purpan de Toulouse le 29 avril pour y mourir le 11 mai.

Durant les recherches on a su, ce qui renforça la thèse de l’enlèvement, que quatre gardes civils avaient précipitamment abandonné l’hôtel Adagio de Toulouse, en oubliant deux pistolets quand la famille et ETA dénoncèrent la disparition de Jon.

Alors que les évidences étaient suffisamment notoires pour approfondir l’investigation, le Protocole de Désorientation de contre-guérilla fonctionna de façon précise. Manifestations massives des deux côtés de la frontière, déclarations de responsables politiques en faveur d’une investigation impartiale… Tout cela a été traité par les autorités espagnoles et françaises de manière frivole, en soulignant que leurs protagonistes encourageaient des théories conspiratrices alors qu’il n’y avait rien de douteux.

A Paris, Michelle Alliot-Marie était la ministre de l’Intérieur, elle ne fit aucune objection aux propos de Perez Rubalcaba, bien que toute son équipe sût déjà que c’était des mensonges. La procureure de Bayonne Anne Kayanakis a reconnu des manquements dans le cours de l’investigation. Elle abandonna l’affaire, d’après elle à cause de sa complexité, en la transmettant à une juge d’instruction, Myriam Viargues, de Toulouse, assisté du procureur Michel Valet.

Le chef de la police judiciaire de Toulouse, chargé de l’enquête, François Bodin, ne trouva aucune trace de manquement. Avec Kayanakis il a été muté à Bordeaux. Une promotion.

A l’Audiencia Nacional les efforts du magistrat Fernando Andreu ne donnèrent absolument rien. Pas plus que ceux qu’il faisait en même temps sur d’autres disparus historiques dont, Eduardo Moreno Bergaretxe, Pertur.

En 2017 pour conclure l’interprétation de la mort de Jon, officiellement d’un arrêt cardiaque et la gestion du dossier à une suite d’erreurs administratives, la Cour d’appel de Paris rejeta la demande de reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans l’enquête sur la mort du militant basque.

Aujourd’hui, dix ans après, et suivant la loi des victimes de l’Etat soutenue par le Gouvernement autonome basque, avec l’aval du PSOE, Jon Anza n’est pas une victime. Pour deux raisons. La première parce que Jon était militant de l’ETA et les excès policiers en sont exclus. La seconde parce que malgré les indices et les évidentes irrégularités dans l’enquête, les décisions de justice s’imposent, conformément à l’accord, sur tout le reste. C’est ainsi que dix ans plus tard, cela reste une affaire d’Etat. Pour Jon il lui manque son dernier voyage, celui de la vérité.