Bixente VRIGNON
Journaliste
TRIBUNE LIBRE

Fake news et vraie information, le retour de la censure

Le président Emmanuel Macron -qui décidément aime manier l'ironie- annonçait lors de ses “vœux” à la presse le 3 janvier une loi sur les “fake news”, les fausses nouvelles. “Un ‘texte de loi’ sera prochainement déposé pour en finir avec ‘des bobards inventés pour salir’, notamment en période électorale. Il visera notamment les plateformes Internet, qui auront ‘des obligations de transparence accrue sur tous les contenus sponsorisés’”, explique ainsi Libération1. Au milieu d'une soupe de leçons de morale et de civisme destinées aux journalistes, Emmanuel Macron a fait des allusions suffisamment pesantes pour comprendre que son projet de loi vise avant tout la Russie et les médias qu'elle finance, pour ceux diffusés en langue française, Sputnik et RT (ex-Russia Today) principalement. Comme si le doute pouvait planer longtemps sur des médias aux noms slaves aussi transparents, il veut rendre publique “l'identité des annonceurs et de ceux qui les contrôlent”. La loi devrait permettre, en mode gradué, de supprimer des contenus, de fermer des comptes et même de bloquer l'accès à des sites internet. On appelle ça de la censure.

Invité de l'émission “ONPC” (On n'est pas couché) sur France 2, dans la nuit du 6 au 7 janvier, le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux tente de mieux expliciter la démarche. Il veut prendre “un exemple très concret. Si demain un milliardaire étranger ou un groupe terroriste avec des fonds importants, décidait de sponsoriser des contenus diffamants sur tel ou tel candidat, ils peuvent librement le faire sur les plate-formes...” Exemple boiteux, puisque la loi sur la diffamation publique existe depuis le XIX° siècle en France2 et que tout diffamateur s'expose à des poursuites. Il reconnaît innocemment qu’ “il y aura toujours des fake news”, à quoi bon une loi, alors ? Il revient sur la campagne du Brexit qui aurait été influencée par ces sites selon lui, en prenant l'exemple d'une fausse information qui aurait circulé sur des “contenus sponsorisés” : elle affirmait que “les billets en euros contenaient une substance qui rendait les enfants malades”. “Au cours de la campagne, des centaines de milliers de voix ont changé de camp”, poursuit Benjamin Griveaux qui n'établit pas de causalité directe entre ces deux affirmations... Et on comprend sa prudence car, qui pourrait croire qu'un “bobard” aussi grossier puisse faire changer d'opinion des centaines de milliers de personnes ?! Pour s'attaquer aux fausses informations, voilà que le porte-parole du gouvernement produit lui-même des fake news !

Si le nom “fake new”, pour désigner une fausse nouvelle, nous est parvenu en anglais, c'est parce que cette notion -au demeurant vieille comme le langage- a refait son apparition lors de la campagne électorale américaine. Assommés par la victoire de Donald Trump alors que la victoire leur tendait les bras, incapables d'assumer la défaite, les responsables du parti démocrate aux Etats-Unis évoquent la Russie comme l'auteur d'une immense machination, à coups de piratage de courriels et de manipulation des réseaux sociaux. La théorie sera ensuite reprise à chaque élection, pour le Brexit, les élections allemandes ou françaises, le référendum en Catalogne. Le problème est qu'elle est toujours restée au stade de théorie et qu'elle n'a jamais été prouvée, malgré les enquêtes diligentées notamment aux Etats-Unis. Plusieurs articles de vérification des faits ont été publiés par exemple par le Monde Diplomatique : “Selon Facebook, des centaines de faux comptes ‘probablement créés en Russie’ ont dépensé 100 000 $ pour diffuser près de trois mille annonces entre juin 2015 et mai 2017 (…).” A-t-elle produit pour autant un impact digne de la place que les médias lui ont consacrée ? Si l'on compare cette somme de 100 000 $ aux 6,8 milliards de dollars de dépenses de campagne électorale en 2016, il est permis d'en douter. D'ailleurs, d'après Facebook, “la grande majorité de ces messages publicitaires ne faisaient référence ni à l'élection présidentielle américaine ni à un candidat particulier” mais visaient plutôt “à exacerber les divisions sociales et politiques du pays (…) sur les droits des lesbiennes, gays, bi et trans (LGBT), le racisme, l'immigration ou le port d'armes3”. Et l'article de rajouter que la moitié de ces annonces ont été consultées après le résultat de l'élection.

Que des Etats étrangers veuillent intervenir dans les affaires d’autres Etats, c’est une évidence, “les veines ouvertes de l’Amérique Latine4” avec leur cortège de coups d’Etats et de massacres, et l’interventionnisme étatsunien, en sont la preuve historique et toujours contemporaine. Mais qu’une mise en coupe réglée de l’Internet, ou même une restriction de la liberté d’expression a minima puisse y changer quelque chose est tout simplement risible. Qui déciderait de ce qu'est une fausse information, de ce qui ne l'est pas ? Qui déciderait de sa dangerosité, pouvant conduire jusqu'à la fermeture d'un site en ligne ? Qui prouverait son influence sur un scrutin et de quelle manière ?

Bloquer des sites web, interdire des comptes, ce genre de législation existe, elle est appliquée en Chine, en Russie, en Turquie. Elle prouve qu’un régime est autoritaire. Elle signe un retour de la vieille censure avec des habits modernes. C’est ce qui est préoccupant dans les “vœux” du Président.