Ursoa PAROT
Sœur de Ion et Unai Parot
TRIBUNE LIBRE

Victimes… Crimes… Vengeance…

Je me souviens de mon frère, Unai, réveillé, à deux ans, par l’explosion d’une bombe posée à l’entrée de notre petit immeuble. C’était au début des années 60, la guerre d’Algérie, l’Algérie où les hasards de l’histoire nous avaient fait naître, de parents basques exilés. J’entends encore la propagande haineuse, diabolisant la population colonisée et incitant à la vengeance contre elle.

Je me souviens de mon frère, Ion, attablé dans un restaurant de la rue Pannecau à Bayonne et réchappant de peu, à 20 ans, à une bombe posée par des envoyés du dictateur Franco, cet allié d’Hitler qui ne devait pas tarder à mourir de vieillesse dans son lit, après plus de 40 ans de crimes. Je me souviens de ces jeunes enfants, en route pour l’école, familles de réfugiés basques, cibles de bombes posées sous leurs véhicules par des sbires du pouvoir espagnol franquiste, dans les années 75. Je me souviens encore de notre horreur à l’écho des tortures infligées à cette population basque, faisant jusqu’à nos jours des milliers de victimes méprisées.

J’entends encore la propagande, transformant en nouveaux démocrates - au nom de la lutte contre le communisme, qualifiée de prioritaire – les tortionnaires espagnols, maintenus en place, à des postes-clés, malgré leur complicité dans des centaines de milliers de crimes contre l’humanité.

Je me souviens du jeune étudiant Pécastaing, fils de mon chef de service, mitraillé au Bar des Pyrénées, à Bayonne, assassiné comme des dizaines d’autres personnes par des sbires du gouvernement espagnol, dans les années 80. Je me souviens, alors que je sortais de mon travail, de ces quatre jeunes réfugiés basques gisant dans une mare de sang, sur un trottoir de la rue Pannecau, assassinés par des envoyés du pouvoir espagnol, au nom du GAL. Je me souviens des jeunes réfugiés de vingt ans, Joxi et Josean, enlevés sur une place de Bayonne par des gardes civils, torturés durant plus d’un mois et retrouvés, enfouis sous la chaux, au Sud de l’Espagne. Je me souviens de Josu Muguruza, alors jeune journaliste à Bayonne, assassiné par le GAL devant le Parlement de Madrid dont il venait d’être élu député indépendantiste.

Je me souviens des quatre enfants de gardes civils tués à la caserne de Saragosse dans une attaque dont ils n’étaient pas les cibles.

J’ai, gravé dans ma mémoire, le regard indescriptible de mon frère Unai que je visitais, alors qu’il venait de subir plusieurs jours et nuits de tortures ininterrompues, en avril 1990.

Je revois notre mère, une de ses petites-filles dans les bras, courant pour ne pas rater une correspondance de train la menant vers un de ses fils, emprisonné au loin, à plus de mille kilomètres.

Je me souviens aussi que notre mère réchappa, d’un train, à une bombe islamiste placée sous un siège de RER, alors qu’elle venait de la banlieue parisienne où mon frère aîné Ion était incarcéré. Ce même frère que la justice française assimile honteusement aux terroristes djihadistes, pour justifier son alignement sur le pouvoir espagnol intransigeant qui diabolise les prisonniers basques.

Je sais pourtant que mes frères, ainsi que l’immense majorité des prisonniers politiques basques sont sincèrement convaincus de la nécessité de résoudre pacifiquement ce conflit au cœur duquel ils se trouvent.

Au bout de 28 ans d’incarcération, à perpétuité pour mes deux frères, ainsi que Jakes Esnal et Txistor Haranburu, on parle aujourd’hui d’un éventuel rapprochement au compte-gouttes, côté français, pour quelques-uns d’entre eux, ceux qui seraient en toute fin de peine et n’auraient commis aucun crime…

Nous sommes les familles de ces prisonniers basques, victimes nous aussi de ce conflit non résolu, ce conflit non reconnu officiellement. Nous ne pouvons que constater et subir l’acharnement et l’injustice exercés contre nos proches et nous-mêmes.