Anne-Marie BORDES
Ancienne journaliste à Sud Ouest
PAROLE AU JOURNALISTE

Sanfermines et symbolique

Anne-Marie Bordes a été journaliste à Sud-OUest. © DR
Anne-Marie Bordes a été journaliste à Sud-OUest. © DR

Epais sourcils, grands yeux ronds… San Fermin est donc cette figure religieuse, enveloppée d’une cape rouge brodée et rebrodée, coiffée de sa mitre, vénérée par ces innombrables Navarrais qu’il bénit de sa main droite. La gauche, elle, tient une crosse d’argent, son bâton de berger. Le saint quitte la chapelle San Lorenzo, pour se rendre à la cathédrale, chaque 7 juillet que Dieu fait dans sa ville d’Iruñea. Des dizaines de milliers d’yeux le cherchent dans une procession aussi solennelle qu’hétéroclite : Géants, Grosses Têtes, confrérie de la Passion, danseurs, txistulariak, chapitre de la cathédrale et archevêque, conseil municipal tiré à quatre épingles (frac et haut de forme pour les conseillers, costumes de la vallée de Roncal pour les conseillères), garde municipale... La Pamplonesa, harmonie municipale centenaire, clôt la marche.

Rituel imparable ! C’est bien pour San Fermin (sans oublier la fête profane !) que la chorale basque Anaiki de Paris se fait un devoir de faire le voyage chaque été. Son “momentico” ? En fin de matinée, peu après la première jota dédiée au saint du haut d’un balcon, au 47 de la rue San Anton. Anaiki (et partie du groupe Bihotzez de Guéthary), se sont postés à l’angle des rues Zapateria et Pozoblanco, en plein Casco Viejo. Les chants s’élèvent. Voilà enfin, qu’imperturbable, le saint se profile, suivi des officiels dont les choristes veulent attirer l’attention.

Ces quatre dernières années (2015-2019), le maire d’Iruñea Joseba Asiron (abertzale de gauche, EH Bildu) qui en appelle volontiers au respect mutuel, les saluait contrairement à la pratique de ses prédécesseurs, d’un grand sourire et d’un geste amical. Rien de tel cette année, son successeur Enrique Maya (Union Del Pueblo Navarro, issu de la coalition de droite Navarra +), est passé sans rien voir. A vrai dire, le chef de chœur, Jean-Marie Guezala, fidèle aux Sanfermines depuis ses 18 ans, n’en n’attendait pas davantage : “Anaiki, dit-il, dédie depuis longtemps ses chants à l’euskera et aux euskaltzale dans cette procession où ne prime que l’espagnol. J’aimerais bien que nous soyons beaucoup plus nombreux ici même. Qui veut, vient nous retrouver et chante en basque avec nous !”

Les improvisations d’Anaiki se poursuivent dans les parages. Autre station sous le porche de l’église San Cernin, où le nouveau maire est chahuté par des opposants… “Détails !”, dira-t-on. Infimes sans doute. Mais symptomatiques des difficultés dans lesquelles se débat la Navarre, plus que divisée après les élections municipales et forales du 26 mai dernier, soldées par la revanche de la droite (vaincue quatre ans plus tôt) sur l’opposition abertzale (coalition Geroa Bai) et parti socialiste. Le 6 juillet déjà, lors du Txupinazo, l’ikurriña pourtant présent ces dernières années, a été banni du balcon de l’Hôtel de ville où l’opposition avait sa place. Deux policiers municipaux ont fait usage de la force. Au vu de tous.

Parenthèse apolitique que la San Fermin universelle ? Pas vraiment. La symbolique du drapeau basque y demeure très lourde. Le concept clivant de “mémoire historique” étant ce qu’il est dans l’ancien Royaume, la “convivance” réelle et profonde entre Navarrais n’est pas pour demain.