Maite UBIRIA BEAUMONT
Journaliste à GARA
PAROLE AU JOURNALISTE

Hitza hitz

Maite Ubiria. © Bob EDME
Maite Ubiria. © Bob EDME

Hitza hitz. Chose promise chose due. Je tiens parole, et j’ose ouvrir cette nouvelle fenêtre. Une première pour cette journaliste née dans une ville et un temps où oser n’était pas toujours facile. Chez nous, la frontière était à cette époque une présence incontournable, mais aussi un sentiment lourd.

Mes souvenirs de jeune fille m’emmènent à un paysage métis dans lequel les cris insouciants des enfants se mélangeaient avec la vue imposante de ces “check-point” de Santiago ou encore de Béhobie.

Je me retrouve à l’entrée du pont, tenant fort la main de ma mère, Teresa, en attente de passer la fouille à la carte que nous imposaient les policiers. J’évoque des années où les femmes faisaient des allers-retours pour s’approvisionner en produits, avec l’espoir de faire quelques économies.

Je fais appel à ma mémoire et me revois grimper la longue rue de la gare d’Hendaye, en direction de la Casa Esperanza, sorte d’eldorado pour nous, pèlerins d’Irun. Le café, le beurre, les biscuits, les yaourts… Le panier rempli et l’addition en anciens francs. On connaissait par cœur le magasin et on faisait vite pour rentrer de bonne heure, avant que la frontière ne se remplisse de ces hommes qui parlaient trop fort : les frontaliers qui rentraient chez eux après une journée de travail “en France”.

L’inquiétude. L’inquiétude de ne pas choisir la bonne file. Et la peur. La peur de se faire arrêter, mais surtout, de se faire saisir les produits collectés au cours de chaque expédition “de l’autre côté”.

Je me souviens aussi du regard douloureux de mon père, exilé intérieur à son tour, même s’il n’a jamais quitté son pays, lorsqu’il nous avoua avoir assisté avec impuissance, alors qu’il cultivait son jardin sur un des îlots du quartier de Santiago, à la mort d’un autre Portugais –à mon époque on nommait comme cela les immigrés– qui s’était noyé en essayant de traverser la Bidassoa.

Né dans un petit village navarrais, Joxe atterrît dans les années 60 dans une ville qui avalait par milliers des gens qui venaient de régions lointaines et qui parlaient une langue qu’il n’arriva jamais durant sa vie à maîtriser. Petite explication pour vous dire que l’exil est une expérience de longue date pour les gens de la frontière.

J’habite depuis une quinzaine d’années de ce côté nord de mon pays, tout proche de ma ville d’origine. Les cabines de police ont disparu des ponts et les voies cyclables ont remplacé les chemins des contrebandiers.

Le paysage a bien évidemment changé, mais les souffrances comme les souvenirs reviennent comme un écho. Aujourd’hui, les Portugais de mon enfance, on les appelle tout simplement des migrants. Mais en fin de compte, comme ces personnes d’antan, comme nous-mêmes, ils attendent le bon moment pour traverser cette frontière qui, malgré tout, existe toujours, et je suis sûre qu’ils ressentent la même peur qu’un jour a parcouru notre peau.

Heureusement, des bénévoles ont balisé le chemin pour guider ces pèlerins du XXIe siècle jusqu’au centre d’accueil de Martindozenea. Parce qu’elles et eux sont nous. Ongi etorri errefuxiatuak!