Antton Rouget
Journaliste freelance
LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT

Vers une nouvelle affaire d'espionnage politique en France

Entré en dissidence face à l’ancien ministre de l’Intérieur et ami de Nicolas Sarkozy Claude Guéant, le député Thierry Solère aurait été espionné par les services de renseignement extérieur en 2012, a révélé lundi le quotidien «Le Monde». Cette nouvelle affaire interroge sur les dérives des services de renseignement et leur instrumentalisation politique.

Les années de présidence Sarkozy ont laissé un goût amer chez nombre de journalistes, magistrats et même policiers. Ce sentiment que les services de renseignement, entièrement refondés par celui qui ne cachait pas son goût pour le secret, ont été mobilisés au service d'un objectif inavouable dans un Etat de droit: l'espionnage politique à une échelle quasi-industrielle. Si, longtemps, cette présomption n'a reposé sur aucun élément de preuve, les informations publiées au compte-goutte quelques années plus tard interrogent aujourd'hui sur l'organisation des services de renseignement à la solde du pouvoir exécutif.

Lundi, une nouvelle affaire est venu noircir le tableau déjà bien sombre de l'action des services de renseignement sous l'ère Sarkozy. Le quotidien “Le Monde” a ainsi révélé que le député Les Républicains Thierry Solère avait été espionné par les services de la Direction générale des services extérieurs (DGSE), a priori chargée de glaner des informations à l'étranger.

Pendant qu'il menait campagne aux législatives de 2012, Solère aurait été placé sur écoute avant que les services ne projettent d'organiser une surveillance physique.

Aujourd'hui bien installé dans le parti, Solère présentait à cette époque un inconvénient de taille: celui d'être entré en dissidence contre la candidature de Claude Guéant, ancien ministre de l'Intérieur et homme lige du Sarkozysme. Ce dernier a d'ailleurs réagi vigoureusement aux informations du “Monde”: «Jamais je n’ai demandé la moindre écoute téléphonique de quelque personnalité politique que ce soit. Je dis qu’une enquête doit nous dire la vérité».

La DGSE a de son côté démenti ; comment aurait-il pu en être autrement ? Le parquet de Paris a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire des chefs de «collecte frauduleuse de données à caractère personnel», « d’atteinte à l’intimité de la vie privée » et recel. Et Nicolas Sarkozy y lui aussi allé de son commentaire, estimant que le scénario d’une écoute de Solère était «dément» :«Si un ministre de l'Intérieur avait voulu faire quelque chose d'aussi stupide, pourquoi utiliser les services de la DGSE qui dépendent du ministère de la Défense?».

Mais l'argument ne franchi pas l'épreuve des faits. La proximité entre l'ancien président, sa garde rapprochée, et les patrons du renseignement de l'époque –à la DCRI (le renseignement intérieur) comme à la DGSE– est en effet notoire.

Le premier d’entre eux, Bernard Squarcini, ancien membre des renseignements généraux, spécialiste de l’antiterrorisme en Corse et au Pays Basque, promu patron du renseignement intérieur par Nicolas Sarkozy, est régulièrement dépeint comme «l’espion du président». Il a ainsi attaqué en diffamation un livre le présentant comme l’homme des basses manoeuvres du Sarkozysme

En avril 2014, Bernard Squarcini a d’ailleurs été condamné pour avoir fait surveiller, dans le cadre de l’explosive affaire Clearstream, les conversations téléphoniques de Gérard Davet, enquêteur du journal “Le Monde”, et David Sénat, ancien conseiller juridique de la ministre Michèle Alliot-Marie.

De même, la semaine dernière, alors que deux juges d’instruction ont fait perquisitionné les locaux de Squarcini dans le cadre d’affaires politico-financières, ils y auraient découvert, selon “Le Canard Enchaîné”, quantité de documents classés «Secret défense».

Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’arrivée du Parti socialiste au pouvoir n’a pas engendré de réforme profonde du renseignement. Par complexe à agir sur des sujets régaliens pour lesquels elle se sent illégitime mais également par manque de formation et de cadres, la gauche n’a que rénové en façade le système mis en place par Nicolas Sarkozy. Symbole du quinquennat précédent, Squarcini a été débarqué en 2012 mais remplacé par son ami Patrick Calvar, directeur de la DGSE de 2009 à 2012...