Antton Rouget
Journaliste
PRÉSIDENTIELLE FRANçAISE

Empétré dans les scandales, Fillon décide de faire du Sarkozy

Enlisé dans une enquête judiciaire qui progresse rapidement, le candidat François Fillon a annoncé cette semaine qu’il continuerait sa campagne même s’il était mis en examen par la justice dans le dossier d’emplois fictifs de sa femme à l’Assemblée nationale. Une folie, dénonce son camp qui ne peut pourtant pas compter sur de candidat alternatif

Foncer, en espérant que la justice ne le rattrapera pas avant le scrutin. Voilà la stratégie clairement assumée du candidat de la droite française à l’élection présidentielle François Fillon, menacé par une enquête judiciaire sur les emplois présumés fictifs de sa femme à l’Assemblée nationale.

Après avoir lui-même hésité à renoncer à se présenter au lendemain des révélations du Canard Enchaîné et l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet national financier et tandis qu’une grande partie de sa famille politique a déjà fait le deuil de la victoire au mois d’avril, François Fillon a changé de tonalité ces derniers jours : rien ne pourra désormais l’arrêter, assure-t-il, pas même une mise en examen à la veille de l’élection.

Peu importe finalement que le candidat de la droite ait assuré l’exact contraire il y a à peine deux semaines en direct à la télévision. Ce soir-là, convaincu que la justice tremblerait et que l’enquête le dédouanerait rapidement de toute responsabilité, François Fillon avait assuré, bravache, qu’il retirerait sa candidature s’il était mis en cause par la justice. Une déclaration en concordance avec le positionnement qui l’a fait élire en novembre à la primaire de la droite et du centre. Opposé à Alain Juppé (condamné dans le dossier des emplois fictifs de la mairie de Paris) et, surtout, à Nicolas Sarkozy (poursuivi dans le cadre de deux procédures judiciaires), l’ancien Premier ministre avait lâché cette comparaison fracassante : «Qui imagine le général De Gaulle mis en examen ?», Une déclaration qui se retourne contre lui aujourd’hui.

Car, s’il peut légalement poursuivre sa campagne malgré l’enquête judiciaire, la candidature de François Fillon risque de devenir intenable sur le plan politique. Avant les révélations du Canard enchaîné sur le million d’euros d’argent public englouti par sa femme et ses deux enfants, le chef de la droite avait en effet axé son programme sur la réduction drastique des dépenses publiques, la limitation des dispositifs d’aide sociale et une plus grande fermeté à l’égard de la «délinquance».

Mercredi soir, en meeting dans le Nord de la France, François Fillon a bien tenté de relancer la dynamique autour de ces thèmes de campagne. Mais chacune de ses propositions prend aujourd’hui une dimension totalement contradictoire au regard de sa situation personnelle. «Comment peut-il défendre sérieusement l’idée qu’il faut supprimer 500 000 postes de fonctionnaires pour redresser le pays?», s’interroge un membre de son parti.

Beaucoup, même dans son propre camp, avait ainsi envisagé un changement rapide de candidat. Mais l’acharnement de François Fillon a finalement surpris l’ensemble des observateurs. Après avoir convoqué à deux reprises l’ensemble des parlementaires de droite à son QG de campagne, le candidat a resserré les rangs derrière lui et les appels à un renoncement se font rares dans les rangs de la droite. Cette situation est très paradoxale car la plupart des responsables du parti constatent que la situation personnelle de François Fillon les condamnent inexorablement à la défaite en 2017.

Les députés et cadres du parti constatent en effet semaine après semaine que la base militante a décroché. Comme son illustre prédecesseur Nicolas Sarkozy, François Fillon a bien tenté de remobiliser ses supporters en expliquant que l’enquête judiciaire était le fruit d’un «coup d’Etat institutionnel» de la gauche au pouvoir, cet argument ne touche sérieusement que le coeur du mouvement. Le reste, tout à fait conscient que leur candidat sera inaudible auprès des français, rêve de la nomination urgente d’un candidat de substitution, s’il n’est pas déjà trop tard.

Sauf que, parmis les prétendants crédible à la présidence de la République, personne ne souhaite sortir du rang. Alain Juppé, marqué par la défaite à la primaire, ne rassemble pas assez. Et la nouvelle génération du parti attend son heure sans vouloir commettre d’acte de traitrise. «Le tueur ne sera pas le vainqueur», explique ainsi un cadre de la droite pour résumer le blocage de la situation. François Fillon lui-même est bien conscient que l’absence d’alternative est son principal sérieux : «le retrait de ma candidature créerait une crise majeure» et une possible guerre interne, a-t-il exposé à ses troupes cette semaine.

Mais l’électorat, lui, risque de s’évaporer au fil des semaines. Les premières enquêtes d’opinios –même si elles sont à analyser avec des pincettes– révèlent logiquement que François Fillon décroche dès le premier tour, tandis qu’il faisait office de grand favori du scrutin il y a trois semaines à peine. Marine Le Pen est assurément l’une des grandes bénéficiaires des déboires de la droite, et cherche à adoucir son image pour récupérer les nombreux déçus de la Fillonie. Il est également un autre candidat qui espère profiter de cette situation nouvelle. Il s’agit dans l’ancien ministre de l’Economie Emmanuel Macron. Parti de la gauche libérale, ce dernier recentre encore plus son discours ces derniers jours en espérant incarner une alternative à l’extrême-droite.

Le maire de Pau François Bayrou, qui a estimé qu’il ne pouvait pas soutenir et voté pour François Fillon, réfléchit aussi à se lancer dans cette élection incertaine.