Antton Rouget
Journaliste freelance
L’AFFAIRE Tarnac touche à sa fin

L'«affaire Tarnac» ou le fiasco annoncé de l'antiterrorisme

Le «groupe de Tarnac» était-il un mouvement terroriste? En novembre 2008, la ministre de l’Intérieure, Michèle Alliot-Marie, annonçait avec éclat le démantélement d’une «structure à vocation terroriste anarcho-autonome d’ultra-gauche» dans la campagne. Après sept ans d’enquête, l’accusation ne tient plus que sur un livre légal et anonyme.

La médiatique affaire du «groupe terroriste de Tarnac» est en passe de se transformer en un retentissant procès de l'antiterrorisme. Sept ans après l’interpellation d’une dizaine de militants présumés de la mouvance anarcho-autonome, accusés d’avoir commandité et réalisé le sabotage de lignes de train, trois membres du désormais célèbre «groupe de Tarnac» (du nom d’un petit village de Corrèze où ces militants avaient repris une épicerie) s’attendent à être renvoyés devant les tribunaux.

Seulement, alors que le parquet avait requis le 6 mai 2015 un renvoi pour «actes de terrorisme», les principaux acteurs du dossier ne seront jugés que pour «dégradations» ou «association de malfaiteurs».

En charge du dossier, les juges d’instruction Jeanne Duyé et Christophe Teissier ont en effet estimé dans leur ordonnance de renvoi que «ces actions ne peuvent être considérées, malgré la rhétorique guerrière employée, comme étant des actions ayant intimidé ou terrorisé». Un camouflet pour le parquet, qui a fait appel de la décision.

Parfaitement alignée sur les discours politiques et les thèses policières, la position du parquet reste inchangée depuis 2007: le groupe de Tarnac serait le symbole de la résurgence de la «mouvance d’ultra-gauche» et de la radicalisation des pratiques militantes. Son chef: Julien Coupat, fils de bonne famille engagé dans des mouvements contestataires depuis plusieurs années, est considéré comme l’«idéologue du groupe». Sa méthode: les actes de sabotage contre les lignes TGV, dans les nuits du 25 au 26 octobre 2008 et du 7 au 8 novembre 2008 notamment. Son programme: un livre, considéré comme une véritable déclaration de guerre aux structures étatiques, à l’origine du «basculement dans le terrorisme» du groupe de Tarnac.

“L'insurrection qui vient”, essai politique publié en 2007 par le méconnu «Comité invisible», est une oeuvre faisant l’apologie de modes de sabotage propres à «finaliser la chute de l’État» dont la rédaction aurait, selon le parquet, été coordonnée par Julien Coupat, malgré ses dénégations répétées. Bien qu’en vente libre et que son contenu n’ait jamais fait l’objet de poursuites judiciaires, l’ouvrage est la pièce maitresse de l’accusation.

«Le fait que le parquet revienne de façon systématique à ces écrits est très grave. Cela pose véritablement la question de la liberté d’opinion dans notre pays. Et permettre une qualification de «terroriste» sur la base d’un livre serait dramatique pour les libertés individuelles», a dénoncé, dans le magazine l’“Obs”, Marie Dosé, avocate de Julien Coupat. D’un ouvrage subversif confidentiel, le livre est passé avec l’affaire Tarnac au statut de manuel de combat de la gauche radicale jusitifiant interpellations, garde-à-vue et mis en examen.

L’insurrection qui vient alimente ainsi depuis sept ans tous les fantasmes sécuritaires mais peine à étouffer une enquête bâclée. Reconstitutions insuffisantes, témoins sous pression ou écoutes illégales: les inculpés de Tarnac ont à de nombreuses reprises dénoncé les conditions dans lesquelles a été menée l'instruction.

En 2011, Me Marie Dosé dépose même une plainte pour interceptions illégales, subornation de témoin et faux et usages de faux en écriture publique dans le cadre de la rédaction de procès-verbaux par les enquêteurs. La plainte se soldera par un non-lieu en mars 2015 mais pointe une nouvelle fois les incohérences de l’accusation.

«Depuis le jour de nos arrestations, nous avons toujours trouvé hilarantes les charges qui pèsent contre nous», a ainsi expliqué Julien Coupat en mai à l'“Obs”, estimant que «dans n’importe quel autre pays d’Europe, un dossier comme celui-ci aurait depuis longtemps donné lieu à relaxe avec de discrètes excuses des autorités».

Mais Tarnac le prouve une nouvelle fois: l’antiterrorisme est loin d’être une science exacte. Au manque de preuves est opposé depuis sept ans un ouvrage aux thèses révolutionnaires; face à l’absence de faits d’ampleur justifiant une enquête pour terrorisme sont prêtées aux auteurs présumés des deux sabotages de lignes de train des intentions d’amplifier leurs actions; afin de corser le parcours ordinaire d’un groupe de jeunes militants partis vivre dans la campagne française est montée l’histoire d’un «groupuscule» ayant rejoint la Corrèze pour renverser l’Etat.

Si elle a atteint de tels degrés d’incohérence, l’affaire Tarnac la doit surtout à son instrumentalisation par le pouvoir politique. Auteur du livre “Tarnac, Magasin général” (Calmann-Levy, 2012), le journaliste David Dufresne, qui a enquêté pendant trois ans sur le dossier, assure que «l’antiterrorisme est un des services de police les plus dépendants de la volonté politique».

C’est ainsi que le 11 novembre 2008, après avoir à plusieurs reprises publiquement craint «l’apparition de mouvements radicaux et violents», la ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, annonce le démantélement «d’une structure à vocation terroriste anarcho-autonome d'ultra-gauche» à Tarnac. Elle se réunira dès lors toutes les semaines avec les grands patrons de la Police pour parler terrorisme, selon le récit de David Dufresne.

Le fantasme de la ministre est devenu par son action une bien fragile réalité.