Antton Rouget
Journaliste
ELECTION PRESIDENTIELLE

La droite française s’apprête à lâcher François Fillon

Pris dans les scandales à répétition depuis dix jours, le candidat officiel de la droite et du centre François Fillon est en passe d’être lâché par les poids lourds de son camp. Plusieurs alternatives émergent mais aucune ne semble aujourd’hui en capacité de réunir tous les courants. Cette situation inédite rebat les cartes à trois mois de l’élection présidentielle.

François Fillon s’enfonce inexorablement vers un renoncement à l’élection présidentielle. Le candidat officiel de la droite et du centre, grand vainqueur de la primaire de novembre 2016, est aujourd’hui cerné par les accusations d’emplois fictifs de sa femme et de deux de ses enfants à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Après les premières révélations de la semaine dernière, le journal satirique d’investigation “Le Canard Enchaîné” en a remis une couche ce mercredi en chiffrant le montant total des salaires reçus par la famille Fillon à près d’un million d’euros. Une somme considérable, tandis que les éléments prouvant que les proches de l’ancien Premier ministre n’ont jamais travaillé pour lui s’accumulent au fil des jours.

Un entretien diffusé par la télévision publique a par exemple montré, jeudi soir, que Pénélope Fillon, femme de François Fillon ayant touché près de 800.000 euros pour avoir été l’assistante parlementaire de son mari, revendiquait en 2007 le fait de ne pas travailler pour lui. Les investigations judiciaires menées par le Parquet national financier (PNF) ont aussi permis d’établir que l’assistante fantôme n’a jamais possédé de badge à l’Assemblée nationale ni de boîte mail professionnelle. Face aux enquêteurs, Pénélope Fillon s’est en outre limitée à expliquer qu’elle accompagnait son mari en triant son courrier. Bien maigre pour justifier d’un des plus gros salaires de l’Assemblée nationale pendant des années...

Ce vendredi, l’enquête policière s’est aussi officiellement élargie aux interrogations sur les salaires de deux des enfants de l’ancien Premier ministre, qui ont reçu plus de 80&flexSpace;000 euros entre 2005 et 2007 pour des missions au Sénat alors qu’ils n’étaient encore qu’étudiants.

Comme beaucoup l’avaient déjà pressenti la semaine dernière, cette accumulation d’enquêtes et de révélations a eu un effet désastreux sur l’image du candidat Fillon. Grand pourfendeur de “l’assistanat” et des aides publiques et chantre de la transparence et de la probité, François Fillon, grand favori du scrutin il y a à peine deux semaines, est tombé dans une réelle impasse politique.

Tandis que les premiers sondages le font décrocher à la troisième place du premier tour de l’élection présidentielle derrière Marine Le Pen et Emmanuel Macron, personne y compris dans son propre camp ne voit comment la situation ne pourrait pas se détériorer dans les prochaines semaines. “On va finir à 10% en avril” expliquait, jeudi, sous couvert d’anonymat, un élu de droite désespéré.

Car François Fillon ne bénéficie plus d’aucune confiance, même de son premier cercle de soutiens qui se sentent trahis par des révélations inattendues. «Cette situation nous donne l’impression qu’il a réellement mené une double vie pendant trente ans» dénonçait, jeudi, ce même élu de droite qui le connaît bien.

Á la direction du parti Les Républicains, d’autres cadres dénoncent l’entêtement du candidat, qui au lieu de renoncer rapidement pour préserver les chances de son camp, persévère quitte à conduire toutes ses troupes vers la défaite. Mercredi matin, après la seconde salve de “Le Canard Enchaîné”, François Fillon a convoqué une réunion de crise avec les parlementaires de son parti afin de leur demander un soutien inconditionnel pendant les 15 jours à venir.

Mais dans les rangs de la droite, ils sont de plus en plus nombreux à ne plus vouloir attendre. D’abord parce que la base militante est littéralement révoltée contre l’attitude de François Fillon, qu’elle avait pourtant plébiscité lors de la primaire. Ensuite, parce que de nombreux candidats aux élections législatives du mois de juin ne veulent pas voir leurs chances de victoire conditionnées par les déboires de leur chef de file. Et, enfin, parce que l’issue de l’enquête judiciaire sur les différents soupçons d’emplois fictifs ne laisse pas peu de place aux doutes.

Dès mercredi midi, une poignée de députés de droite ont ainsi rompu le rang pour demander officiellement à François Fillon de se mettre en retrait de la présidentielle et le mouvement visant à chercher une candidature alternative promet de s’intensifier dans les prochains jours.

Cette situation inédite n’est pas sans générer des tensions au sein de l’appareil Les Républicains. De par son succès franc à la primaire, François Fillon était en effet l’unique candidat en capacité de rassembler un camp morcelé depuis la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012.

En cas de renoncement, de nombreux observateurs du parti doute que celui-ci s’accorde sur le nom d’un candidat qui ferait l’unanimité dans les rangs de la droite.

Second de la primaire, le maire de Bordeaux peut légitimement revendiquer la place de remplaçant de François Fillon. Il dispose en outre d’une cote de popularité en faisant un vainqueur potentiel de la présidentielle. Sauf que son positionnement, jugé trop au centre par une partie de son camp, hérisse notamment le poil des sarkozystes. Pour lui barrer la route, ces derniers pourraient ainsi pousser les anciens ministres François Baroin ou Laurent Wauquiez –deux quadragénaires aux ambitions redoutables–.

La mort politique de François Fillon signerait alors l’éclatement de la droite.