Antton Rouget
Journaliste freelance
LE MODèLE AGRICOLE EN QUESTION

Le modèle agricole françaisface à ses contradictions

Peut-on dissocier la violente crise que traverse l’agriculture française du modèle économique à l’origine des difficultés ? Alors qu’il est à la pointe du mouvement des agriculteurs contre la baisse des prix, le syndicat majoritaire de la profession, la FNSEA, fervent supporter d’un modèle libéral et productiviste, est pris dans ses propres contradictions.

C’est une crise sans précédent que traverse le monde agricole français. Une crise économique frappant de manière inédite des secteurs divers et variés; une crise sociale tandis que tous les deux jours, en moyenne, un paysan se suicide dans l’Hexagone; une crise de confiance entre agriculteurs et responsables politiques de droite comme de gauche; et une profonde crise d’identité alors que tout un système semble à bout de souffle.

Signal de ce désordre : les agriculteurs mènent depuis plusieurs semaines un large mouvement de protestations pour réclamer des solutions urgentes face à une situation qui les asphyxie.

Dimanche dernier, François Hollande en personne a été victime de la colère des éleveurs. En visite au Salon de l’agriculture, rendez-vous incontournable du monde agricole à Paris, le chef de l'État a été sifflé et insulté comme rarement. La semaine précédente c’est le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll qui en prenait pour son grade alors qu’une trentaine d’agriculteurs s’invitaient chez lui un dimanche soir.

Au Pays Basque, le mouvement des Jeunes Agriculteurs a également pris part à la mobilisation, organisant plusieurs « salons de l’agriculture en crise » dans des supermarchés.

La FNSEA, syndicat majoritaire de la profession, est à la manœuvre. Dans son viseur : les cotisations sociales, les normes européennes et environnementales, la concurrence étrangères et les marges réalisées par les distributeurs et industriels. Comme lors de précédentes mobilisations, la centrale syndicale semble parfois dépassée par ses bases : le 12 février, un groupe de manifestants a ainsi attaqué la Chambre d’agriculture du Finistère pour dénoncer les errements du syndicat. Au Salon de l’agriculture, quelques militants FNSEA ont eux décidé, sans l’avis de leur hiérarchie, de démonter le stand du ministère obligeant leur responsable Xavier Beulin à condamner l’action.

Le syndicat majoritaire est en réalité pris à son propre jeu. Productiviste et libéral, la FNSEA a soutenu toutes les réformes qui ont mené à la dérégulation des marchés agricoles depuis 1982. Et, elle conteste aujourd’hui dans un étrange paradoxe les résultats de choix politiques qu’elle a toujours incités. Si Xavier Beulin a certes concédé que « l’expression selon laquelle le marché se régulera de lui-même ne suffit plus » mais la FNSEA ne semble pas prête à rompre avec les logiques qui ont conduit le monde agricole à cette situation.

«On a des batailles à gagner sur l’export, en Europe ou dans le cadre d’accords de libre-échange avec le Canada ou les États-Unis» a par exemple proposé Xavier Beulin, traduisant la doctrine d’un syndicat prêt à aller toujours plus loin.

Si la FNSEA occupe l’espace médiatique, tout le monde n’est pas de cet avis. « Si cette crise peut être salutaire, c'est dans la prise de conscience que l'on est au bout d'une logique », a ainsi contesté Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne. Ce syndicat alternatif – avec lequel travaille Euskal Laborarien Batasuna (ELB), propose lui une réponse à la crise actuelle qui prenne le contre-pied des politiques libérales et revienne au concept de souveraineté alimentaire : « On a transformé l'Europe en un immense marché. Les paysans sont devenus seulement des producteurs de matières premières qui sont susceptibles de gonfler les bénéfices de l'agro-industrie sur l'export. De l'export sur des marchés rémunérateurs (AOC, spiritueux, vins etc), ou de l'export de dégagement : on a trop de lait, on s'en débarrasse dans d'autres pays hors UE, en mettant à mal la souveraineté alimentaire, le droit des peuples à se nourrir eux-même ». Les solutions proposées par la FNSEA (baisse des charges et augmentation des aides) ne seraient que des manières de retarder un naufrage inéléctuable.

En septembre, alors que le gouvernement annonçait un plan d’aide de 3 milliards d’euros, la Confédération paysanne avait ainsi dénoncé “la mise sous perfusion d'un système périmé et destructeur où les exploitations doivent être de plus en plus grosses (...). Il serait pourtant temps de parler régulation, relocalisation, mise en adéquation de la production avec la demande…”

Plusieurs mesures pourraient amorcer un changement radical : la construction de barrières tarifaires permettant de n’importer que ce dont les pays ont besoin ; la mise en place d’un prix rémunérateur sur l’offre correspondant à la demande intérieure des pays ou la révision les priorités de productions nationales. Mais, les obstacles pour rompre avec les logiques de dérèglementation sont conséquents. Économiques, d’abord, guidées par le consommateur qui tire les prix vers le bas peu importe l’origine et le mode de transformation des produits. Et aussi politiques et institutionnels, car ces choix remettraient en cause plusieurs accords de libre-échange ou traités, à commencer par celui de Lisbonne.