Antton Rouget
Journaliste
CRISE FINANCIèRE

Un des plus grands empires financiers français en chute libre

Empereur des médias et télécoms, et cinquième homme le plus riche de France, le millardaire franco-israélien Patrick Drahi est en pleine tempête. Depuis juin, son groupe Altice (propriétaire de plusieurs opérateurs et médias) a perdu 61% de sa valeur en bourse. Une chute brutale qui fait vaciller tout un groupe lourdement endetté par les acquisitions.

Et soudain, la bulle menaça sérieusement d’exploser. Après dix ans d’une irrésistible mais controversée ascension, l’homme d’affaires franco-israelien Patrick Drahi, à la tête du groupe Altice, qui contrôle plusieurs entreprises françaises majeures dans le secteur des télécoms (les opérateurs SFR et Numéricable) ou des médias (le journal “Libération”, la chaîne de télévision BFM TV ou encore la radio RMC), ne cesse d’inquiéter.

Depuis juin, le titre de la holding de tête du groupe –Altice NV, aux Pays-Bas– a perdu plus de 60% de sa valeur en bourse. Et la chute de confiance ne semble s’accélérer: pour la seule journée du 14 novembre, l’action du groupe a perdu plus de 13% en bourse.

Le même jour, la banque Morgan Stanley avait enfoncé le clou en publiant une étude pessimiste sur l’avenir de SFR, la filiale la plus importante d’Altice, qui n'obtiendra vraisemblablement pas les résultats attendus en 2018 et en 2019. Un véritable camouflet pour le sulfureux millardaire Drahi, expert en opérations financières énormes, qui a avalé les sociétés et vient de racheter les droits de la Ligue des champions à prix d’or en s’endettant à des niveaux records. L’empire menace aujourd’hui de s’effondrer.

Preuve que le risque devient sérieux, le discret Drahi dont les apparitions sont toujours millimétrées a lui-même réagi publiquement le 15 novembre. Devant un parterre d’investisseurs réunis lors de la conférence annuelle de Morgan Stanley à Barcelone, le magnat des médias et des télécoms a reconnu certaines erreurs de gestion: « Nous devons faire en sorte que le client soit content d’être chez nous», a-t-il convenu en référence aux contre-performances de l’opérateur SFR. À cause notamment d’un service client défectueux, ce dernier a perdu pas moins de 2,5 millions d’abonnés depuis son spectaculaire rachat pour 13,5 milliards d’euros en cash par Patrick Drahi en 2014.

Il y a quelques mois encore, le patron d’Altice ne jurait que par de nouvelles acquisitions pour continuer à développer son groupe, notamment aux Etats-Unis, où il rêve d’investir en force le secteur des télécoms. Mais, le 15 novembre, pour tenter de rassurer les marchés, le millardaire a changé son fusil d’épaule. «Nous arrêtons les acquisitions. Nous revenons aux fondamentaux et nous nous concentrons sur l’allégement de la dette», a expliqué Dennis Okhuijsen, le directeur financier de l’empire des médias et des télécoms, dont l’endettement atteint des sommets: 50 milliards d’euros.

Altice a même annoncé qu’il pourrait se délester de certains actifs non stratégiques et freiner sa stratégie d’achats de droits sportifs, où le groupe a investi massivement ces dernières années.

Ce rééquilibrage vise clairement à répondre aux critiques, toujours plus nombreuses, qui mettent en cause la réelle solidité d’un groupe ayant bati toute sa stratégie d’expansion sur la dette. L’empire Altice repose en effet sur une logique économique difficilement tenable pour beaucoup d’économistes: un capital substantiel et... des montagnes de dettes. Sur la base de cette stratégie, ce sont les liquidités apportées par les entités du groupe qui financent les nouvelles acquisitions, et ainsi de suite.

Même acquises au prix fort, les nouvelles filiales sont censées tirer leur rentabilité par le développement de synergies à l’intérieur du groupe et des restructurations (baisse du nombre de salariés, partage des contenus et des compétences...).

Une stratégie de convergence téléphonie-médias marquée par le rachat en 2015 de radios et télévisions (NextRadioTV, propriété d’Alain Weill, qui possède BFM TV); du groupe de presse (Express-Expansion) puis; plus récemment, des droits de la Premier League, le championnat anglais de football, pour 120 millions d’euros par saison; et de la Champions League, la Coupe d’Europe de football, pour 350 millions d’euros par an.

Récemment, Drahi a aussi amorcé la réflexion sur la fusion des rédactions des médias en sa possession et vient de déménager toutes les activités d’Altice (rédactions comprises) dans les locaux parisiens du groupe. Séduisante sur le papier, cette stratégie bute dans les faits sur plusieurs écueils, au premier rang desquels figurent les difficultés rencontrées par plusieurs entreprises censées oxygéner l’empire Drahi. C’est notamment le cas de la tête de pont d’Altice, SFR, dont l’activité –marquée par une forte baisse des abonnés malgré des investissements dans les contenus (la presse ou les droits sportifs sont intégrées à l’offre)– ne tire pas suffisamment les résultats du groupe. Dès lors, le prétendu «cercle vertueux» des acquisitions en chaîne et de l’endettement infini risque de se gripper, l’argent disponible d’être mobilisé pour honorer les dettes plutôt que soutenir la croissance, la confiance des investisseurs de baisser, et ces derniers de rechigner à suivre Drahi dans sa stratégie. C’est ce qu’il se passe aujourd’hui.

Cet accroc spectaculaire dans l’ascension du millardaire français inquiète autant qu’il interroge. Si la faillite d’Altice n’est pas (encore) à l’ordre du jour, la situation du groupe Altice n’est pas sans rappeler le crash de Vivendi Universal (Canal+, Universal Studio...) qui avait multiplié les acquisitions avant de frôler l’explosion au début des années 2000. À croire que les investisseurs n’ont pas retenu la leçon.