Antton Rouget
Journaliste freelance
VERS UNE RECOMPOSITION DE LA DROITE IDENTITAIRE

L'extrême-droite rêve de se réorganiser «hors les murs»

Une partie des soutiens de Marine Le Pen à la prochaine élection présidentielle hausse le ton contre la ligne trop protectionniste et laïque du Front national. Rangés derrière le maire de Béziers, Robert Ménard, ces gardiens des «racines chrétiennes de la France» et des valeurs traditionnelles de la famille rêvent de réorganiser l’extrême-droite identitaire.

C’est un effet secondaire inévitable de la stratégie de «dé-diabolisation» de Marine Le Pen à la tête du Front national. Plus la présidente du FN rêve de conquérir le pouvoir en 2017 et élargi la base de ses soutiens, plus la frange la plus radicale de l'extrême-droite française se sent victime de ce phénomène de délitement.

Tandis que, ces derniers mois, les contestations internes se font de plus en plus bruyantes contre l'appareil du parti, sa ligne idéologique et sa stratégie, plusieurs courants historiques de l'extrême-droite rêvent d'une réorganisation du mouvement en dehors du cadre actuel. Le week-end dernier, Robert Ménard [dans le photo], élu à la tête de la ville de Béziers (75.000 habitants) avec le soutien du FN, a ainsi posé les bases d'un nouveau rassemblement «hors les murs», libéral et identitaire.

Les désaccords de Robert Ménard avec la ligne actuelle du FN sont principalement de deux ordres. D'un point de vue économique d'abord, le maire de Béziers, fidèle à l’héritage poujadiste (droite libérale, proche des artisans et du petit patronat) de son mouvement, conteste les propositions dites de «protectionnisme intelligent» du Front national new age. Si elle reste en retrait du débat actuel sur la «loi travail», Marine Le Pen a par exemple défendu lors de la présidentielle de 2012 le maintien des retraites à leur niveau actuel, l'intervention de l'Etat dans les secteurs stratégiques de l'industrie ou encore une hausse des salaires autour d'un slogan “Ni droite ni gauche”. Des propositions jugées inacceptables par ceux qui, au contraire, soutiennent une déréglementation de l’économie et les politiques de privatisations.

Le projet de sortie de la zone euro s’il venait à parvenir au pouvoir divise également le camp des «patriotes», une partie du mouvement considérant que cette revendication, source d’instabilité économique, fait fuire des segments de l’électorat potentiel de l’extrême-droite.

La droite «hors les murs» diverge également de la ligne majoritaire du Front national sur les questions&punctSpace;identitaires et sociétales. Depuis son élection à la présidence du parti en 2011, Marine Le Pen a en effet développé un discours laïque se démarquant sensiblement des positions de son père sur les «racines judéo-chrétiennes» de l’Europe ou les valeurs traditionnelles de la famille. En 2013, la présidente du parti et son numéro 2 Floriant Philippot ont par exemple tourné le dos aux mobilisations contre la loi autorisant le mariage homosexuel dans lesquelles prenaient pourtant part de larges secteurs de la droite conservatrice et de l’extrême-droite. Et, pour apparaître crédible aux yeux de l’opinion, la candidate du FN refuse d’ailleurs de revenir clairement sur le vote de cette loi si elle est élue en 2017.

Arrivé en 2014 à la tête de la mairie de Béziers, Robert Ménard fait lui, à la différence d’autres élus FN, de la place de la famille, des identités locales et de la religion catholique une priorité de son mandat. En témoignent ses propositions de ficher les élèves musulmans dans les écoles de sa ville, d’émettre des chants grégoriens dans les hauts-parleurs de la ville ou de s’opposer à l’ouverture de nouveaux restaurants Kebab.

La stratégie de rassemblement du FN irrite ainsi plusieurs secteurs de l’extrême-droite. Mais, à l’instar de Robert Ménard qui soutiendra Marine Le Pen en 2017, peu de cadres semblent pour l’instant disposés à provoquer un schisme avec le FN. En pleine croissance, le parti –le seul étant aujourd’hui quasi-certain d’être au second tour de l’élection présidentielle– représente en effet la seule alternative crédible pour les militants d’extrême-droite.

Le FN s’accomode en outre très bien de ses propres contradictions en envoyant des signaux différents selon les électorats. Marine Le Pen symbolisant la modération aux yeux d’une partie de l’opinion, ce sont son compagnon Louis Aliot et sa nièce Marion Maréchal-Le Pen qui ont été chargés de représenter le parti lors du rendez-vous de Béziers le week-end dernier.

De plus, l’échec de toutes les dissidences qui ont émaillé &softReturn;l’histoire mouvementée du parti finit par dissuader les derniers contestataires à la stratégie adoptée par Marine Le Pen.

Une défaite à la présidentielle suivie d’élections législatives et sénatoriales décevantes (le FN espère faire une entrée en force au Parlement) pourraient par contre remettre en cause ces équilibres fragiles.