Antton Rouget
Journaliste
ELECTION PRESIDENTIELLE

L’affaire Fillon paralyse la campagne de la droite française

Les révélations sur les forts soupçons d’emploi fictif de la femme du candidat François Fillon tétanise depuis mercredi la droite française, qui se voyait jusqu’ici déjà vainqueur de l’élection présidentielle à trois mois du scrutin. Au centre, l’ancien ministre Emmanuel Macron continue de pousser et le parti socialiste désigne son candidat ce dimanche

Rien ne se passera comme prévu!» Le slogan et la conviction qu’ont développé plusieurs médias français à la veille de l’élection présidentielle s’avère d’une extrême exactitude.

Après les éliminations successives de l’ancien président Nicolas Sarkozy, du grand favori Alain Juppé, le renoncement du chef de l’Etat François Hollande et l’éclosion de l’ancien ministre Emmanuel Macron, la fin du mois de janvier a réservé deux nouvelles surprises de taille aux commentateurs de la vie politique qui pensaient l’élection jouée d’avance. Dimanche dernier, contre toute attente, le parti socialiste a d’abord placé en tête du premier tour de sa primaire Benoît Hamon, un frondeur opposé aux orientations les plus libérales du quinquennat. Ce mercredi, le nouveau coup de théâtre de cette campagne incertaine a frappé de plein fouet la droite et son candidat François Fillon, hier quasi-certain d’accèder à l’Elysée et aujourd’hui englué dans une affaire politico-financière accablante.

L’affaire est partie du “Canard enchaîné”, hebdomadaire rodé à la vieille tradition des emplois fictifs de la droite française. Mercredi matin, le journal révèle que, tandis qu’il était député puis ministre, François Fillon a embauché sa femme à l’Assemblée nationale de 1998 à 2013 pour près de 500 000 euros. Problème, et de taille : Pénélope Fillon, que le public a découvert ces dernières semaines, a toujours revendiqué ne jamais avoir fait de politique.

Dès mercredi matin, la déflagration est immense. D’abord parce que les affaires mêlant époux ou enfants de parlementaires se sont multipliés ces dernières années. Mais surtout parce que François Fillon a remporté la primaire de la droite fin 2016 en incarnant justement la probité en opposition à Nicolas Sarkozy (mis en examen dans plusieurs enquêtes d’envergure) et Alain Juppé (lui-même condamné dans un dossier d’emplois fictifs).

Malgré l’impact de l’information, la droite n’a pas immédiatement pris la mesure d’une telle révélation sur la suite de la campagne. En déplacement à Bordeaux, François Fillon s’est d’abord limité à condamner les termes d’un article jugé «méprisant et mysogine» sans en remettre en cause le fond. Mais, à la suite de l’ouverture d’une enquête par le parquet national financier (PNF), son camp a rapidement adapté son dispositif.

Ce jeudi soir, en direct à la télévision, le candidat a tenté d’éluder les soupçons en assurant que sa femme travaille bien pour lui «depuis toujours, depuis 1981» : «Elle a corrigé mes discours, elle a reçu d’innombrables personnes qui voulaient me voir et que je ne pouvais pas voir, elle m’a représenté dans des manifestations, dans des associations, elle me faisait la synthèse de la presse». Des explications qui peinent à convaincre car elles sont en opposition avec toutes les déclarations des anciens collaborateurs du député mais aussi de Pénélope Fillon en personne.

Les arguments du candidat sont d’autant plus laborieux que l’enquête du Canard enchaîné évoque un second emploi suspect pour sa femme.

Entre 2012 et 2013, cette dernière a été rémunérée à hauteur d’environ 100 000 euros par la Revue des Deux Mondes (appartenant à l’homme d’affaires Marc Ladreit de Lacharrière), pour des articles passés inaperçus.

Sur ce point précis de l’affaire, le candidat LR a indiqué que «Marc Ladreit de Lacharrière aura l’occasion de s’expliquer», tandis que l’ancien directeur de la revue a assuré publiquement que Pénélope Fillon n’avait jamais travaillé pour elle.

Le passage à la télévision de François Fillon a aussi été l’occasion d’anticiper de nouveaux rebondissements dans le dossier. En direct, comme pour couper l’herbe sous le pied à de prochaines publications, le candidat a ainsi révélé qu’il lui était «arrivé de rémunérer pour des missions précises deux de [ses] enfants qui étaient avocats, en raison de leur compétence», à l’époque où il était sénateur de la Sarthe (de septembre 2005 à juin 2007). Avant de préciser avoir mis fin à ce type de collaborations familiales en 2013, après avoir pris conscience que l’opinion publique avait “évolué sur ces questions-là”.

Mais cette prise de conscience aussi subite que tardive pourrait bien coûter son élection au chef de file de la droite.