Antton Rouget
Journaliste
ELECTION PRESIDENTIELLE

La lutte contre la corruption s’invite dans la présidentielle

À 40 jours du premier tour de l’élection présidentielle, la corruption qui gangrène le personnel politique français s’est installée par la force des choses au coeur de la campagne. Tandis que François Fillon a été mis en examen mardi, notamment pour détournement de fonds public, les révélations sur Marine Le Pen mettent à mal son discours anti-système.

L’assertion est répétée à l’envie par plusieurs des principaux candidats à l’élection présidentielle : à moins de 40 jours du premier tour du scrutin, serait enfin venu le temps de parler du «fond» des programmes plutôt que de s’entêter sur les «affaires» qui pollueraient, selon eux, la campagne électorale.

Comme si la corruption –et le sentiment d’impunité qui l’accompagne forcément– ne relevait pas de dysfonctionnements institutionnels majeurs, les états majors des principaux partis politiques –de droite comme de gauche– refusent toujours d’aborder ce sujet comme une vraie question politique ayant des causes propres pour lesquelles le citoyen est en droit d’exiger des réponses adaptées. Considérant que les «affaires» ne correspondent qu’à l’écume de la vie politique, tous rêvent d’une campagne «propre», dans laquelle les travers du personnel politique ne serait abordé que sous l’angle de l’anecdote. Un voeu pieux tandis que les enquêtes sur les affaires Fillon et Le Pen révèlent aux yeux du monde à quel point la corruption à gangréner la France.

Le quinquennat qui s’achève aura en ce sens démontré les incroyables lacunes démocratiques de la Ve République. En 2013, d’abord, l’explosion de l’affaire Cahuzac –du nom de ce ministre des Finances qui fraudait sa propre administration en ayant plusieurs comptes non-déclarés en Suisse– a furieusement rappelé à la gauche de gouvernement qu’elle n’avait pas le monopole de la vertu. L’épisode fut un énorme coup dur pour François Hollande, qui avait en bâti son élection sur une nouvelle relation aux français basée sur l’honnêteté.

Vint ensuite le temps des révélations sur le train de vie des parlementaires, «représentants du peuple» s’étant arrogés au fil des décennies une longue liste de privilèges inacceptables. Ce fut par exemple l’affaire des fonds secrets du Sénat –qui ont servi à rémunérer des dizaines de sénateurs de la droite et du centre (dont François Fillon) pendant des années– ou encore les enquêtes sur les abus de dizaines de députés employant des proches dans des conditions trop faiblement contrôlées par l’administration.

Cette situation critique a poussé le gouvernement socialiste à réagir dans l’urgence. La loi sur la moralisation de la vie politique a permis la création d’une première juridiction spécialisée (le parquet national financier) et oblige désormais, pour plus de transparence, les élus à remplir déclarations d’intérêts et de patrimoine. Mais tout le monde en convient: ces moyens sont dérisoires face à l’ampleur de la tâche. Les moyens des services d’enquête administratifs ou judiciaires restent minimes à l’image de la commission des comptes de campagne, qui faute de personnel suffisant ne peut pas sérireusement enquêter sur le financement des campagnes électorales. Une situation ubuesque alors que le déroulement des dernières élections présidentielles –2007 et 2012– a finalement débouché sur l’ouverture de deux informations judiciaires. Toutes les deux visent Nicolas Sarkozy. Pour 2007, l’ancien président est accusé d’avoir financé sa campagne à partir des fonds libyens du régime de M. Kadhafi. Une thèse – longtemps contestée– qui a été renforcée ces derniers mois par les témoignages de plusieurs acteurs-clé du dossier (intermédiaires ou responsables du régime libyen). En ce qui concerne 2012, Nicolas Sarkozy est soupçonné d’avoir dépensé le double du plafond de dépenses autorisées –22,5 millions d’euros– grâce à un système de double facturation.

Ces soupçons ont en partie expliqué la cuisante défaite de l’ancien président à la primaire de la droite et du centre. Fin 2016, les quatre millions d’électeurs qui y ont participé ont en effet massivement choisi un homme qu’ils croyaient intègre et qui avait construit sa campagne sur la rigueur et la droiture à partir d’une phrase devenue slogan : «Qui imagine le général De Gaulle mis en examen ?» Tel docteur Jekyll et M. Hyde, François Fillon s’est pourtant révélé dans ses aspects les plus sombres depuis la fin janvier. L’ancien premier ministre –jusqu’alors grandissime favori de l’élection– a même été mis en examen mardi dernier pour «détournement de fonds public», «complicité et recel de détournement de fonds publics», «complicité et recel d’abus de bien sociaux», et «manquements aux obligations de déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique». Qu’en aurait pensé le général De Gaulle ?

L’extrême-droite française a toujours essayé de profiter de ce climat pour incarner une alternative au «système corrompu». Mais le camp de Marine Le Pen est plus que les autres concernés que les autres par les «affaires« qu’il dénonce. La quasi-totalité des campagnes électorales du FN depuis 2012 font aujourd’hui l’objet d’enquêtes judiciaires. Et le parti lui-même, en tant que personne morale, est renvoyé devant le tribunal correctionnel dans le dossier des kits de campagne.

Ce dispositif permettait au Front national de reversait une partie des dépenses de campagne –remboursées par l’Etat– à plusieurs figures de l’extrême-droite nationaliste. Marine Le Pen a toujours clamé être étrangère à ce montage dans lequel sont pourtant impliqués ses proches. Mais cette semaine vient de sortir un livre au titre éloquent : «Marine est au courant de tout».