Antton Rouget
Journaliste
ELECTION PRESIDENTIELLE

La force des réseaux pro-Poutine inquiéte les partis politiques

Par accointance idéologique –la vision d’une Europe blanche et chrétienne– mais aussi par pur stratégie à l’égard de Washington, les réseaux pro-Poutine se mobilisent en faveur de l’extrême-droite eurosceptique. En France, les relations politiques et financières avec le Front national ne cessent d’inquiéter les plus hautes autorités.

C’est un nouveau signal qui a fini de mettre les autorités politiques en alerte. Vendredi 5 mai, à moins de deux jours de l’ouverture des bureaux de vote pour le second tour de l’élection présidentielle, plusieurs adresses mails de responsables de la campagne d’Emmanuel Macron ont été hackés. Des dizaines de milliers de documents confidentiels de l’équipe du candidat ont ensuite été diffusés sur les réseaux sociaux au milieu d’informations construites de toute pièce.

Si rien ne prouve pour l’instant que des pirates russes –et encore moins téléguidés par le Kremlin– sont derrière cette opération, l’entourage d’Emmanuel Macron avait déjà dénoncé ces derniers mois avoir été victime d’attaques informatiques similaires à celles ayant rythmé la campagne électorale américaine. Une situation qui avait alors interrogé sur les possibles moyens déployés par l’entourage de Vladimir Poutine pour conditionner les résultats électoraux et qui pose, en creux, la question de l’ingérence russe dans plusieurs Etats européens.

Il est en effet notoire que, autant par accointance idéologique (la vision d’une Europe blanche et chrétienne) que par accodements tactiques (la démarcation avec les Etats-Unis), les mouvements eurosceptiques d’extrême-droite sont soutenus par les mouvements nationalistes russes. C’est notamment le cas dans les anciens pays du bloc de l’Est. En mai 2013, par exemple, le président du parti ultranationaliste et antisémite hongrois Jobbik, Gabor Vona, a eu le droit aux honneurs de la Douma et de la prestigieuse université d’Etat de Moscou. La visite est décrite sur le site du Jobbik comme «une percée majeure», qui explique «clairement que les leaders russes considèrent Jobbik comme un partenaire». En Bulgarie, le parti d’extrême droite Ataka et son leader charismatique Volen Siderov, connu pour ses propos antisémites, vouent aussi une admiration sans failles au chef du Kremlin.

Mais ces accointances pro-Poutine ont aussi pénétré les frontières de l’Europe occidentale. Sous couvert d’un refus d’alignement sur Washington, le Front national de Marine Le Pen a entamé plusieurs rapprochements avec Moscou. Cette stratégie a été courronnée par la réception en grandes pompes de la candidate d’extrême-droite en mars au Kremlin. Un triomphe pour M. Le Pen qui a utilisé ce voyage pour tenter de se donner une dimension internationale. Mais il existe aussi des liens plus discrets et sulfureux entre le Front national et la Russie.

Ainsi que le site d’investigation Mediapart l’a déjà raconté, plusieurs prêts russes ont servi à financer les dernières campagnes électorales de l’extrême-droite française. Etonnement, à chaque fois, la banque à l’origine de l’émission du prêt a mis la clef sous la porte avant que le parti de Le Pen n’ait pu rembourser la somme. D’ici à considérer que ces prêts suspects pourraient représenter des dons de Moscou, il n’y a qu’un pas, que personne ne franchira faute de transparence dans les procédures bancaires russes.

Quoi qu’il en soit, il est désormais connu que les emprunts russes du FN ont été contractés par l’intermédiaire d’un des conseillers de Vladimir Poutine pour les affaires internationales, le sénateur Alexandre Babakov. Ce dernier a agi par l’intermédiaire de deux lobbyistes pro-Kremlin qui ont coordonné les opérations avec les plus hauts dirigeants du Front national. Des actions qui ne comportent pas qu’un volet financier.

Négociateur pour le compte du FN, l’eurodéputé d’extrême-droite Jean-Luc Schaffhauser a par exemple transmis ses déclarations aux intermédiaires russes avant de parler devant le Parlement. En octobre 2014, son voyage pour soutenir les séparatistes prorusses du Donbass –en compagnie du directeur de cabinet, Nicolas Lesage– a également été payé par les généreux bienfaiteurs pro-Kremlin.