Antton Rouget
Journaliste
DÉBUT DU QUINQUENNAT MACRON

Parlement, armée, administration: Macron renforce son emprise

Plus de deux mois après son entrée en fonction, la tendance se confirme: loin de ses aspirations libérales, le nouveau président Emmanuel Macron retourne aux racines de la Ve République. Celles faisant de la France une sorte de «monarchie républicaine» au sein de laquelle le président décide de tout, tout le temps et surtout tout seul.

C’est une première sous la Ve République. Pour la première fois depuis 1958, le chef d’État-major des Armées (CEMA, plus haut grade de l’armée français) a remis sa démission au chef de l’État ce mercredi. Après plusieurs semaines d’une intense crise militaire et politique, le général Pierre de Villiers –en poste sous François Hollande mais confirmé dans ses fonctions par Emmanuel Macron en juin– a finalement claqué la porte sur fond de désaccord budgétaire. Le militaire avait contesté la décision du président de la République d’amputer de 850 millions d’euros le budget 2017 des armées. Une mesure selon lui incompatible avec les promesses du candidat Macron d’augmenter le budget de la Défense et de maintenir son niveau opérationnel (Etat d’urgence et opérations extérieures au Moyen-Orient et en Afrique).

Outre sa dimension militaire, l’épisode met surtout en lumière les aspects les plus autoritaires de la gouvernance Macron. En soutenant ce jeune président libéral sur le plan économique comme politique, beaucoup de français ont cru en l’avènement d’une République déconcentrée, enfin libérée des accents monarchiques propres à la Ve République. Il n’en est rien.

Au contraire, la séquence ayant conduit à la démission du CEMA&punctSpace;Pierre de Villiers montre comment Emmanuel Macron cherche à s’imposer dans ses fonctions en endossant jusqu’à la caricature le costume de «président de la Ve» tel qu’il fut créé par son fondateur le général De Gaulle. Le 13 juillet dernier, devant un parterre de généraux, le président a ainsi lui-même mis en scène son opposition avec son chef d’État-major en lançant avec un ton martial: «Je suis votre chef». «Quand il y a un désaccord entre le président et le chef d’État-major, le chef d’État major change. Ainsi fonctionne la Ve République» a également ajouté Emmanuel Macron.

L’Affaire illustre également le mépris du nouveau président pour son Parlement. Loin d’être étalées sur la place publique, les critiques budgétaires du CEMA ont en effet été adressées aux membres de la «Commission défense» de l’Assemblée nationale au cours d’une audition à huis clot. Beaucoup de députés supputent ainsi que les futures personnes auditionnées par le Parlement refuseront de formuler leurs réserves en craignant des représailles de la part du pouvoir exécutif. Cette menace est loin d’être un fantasme. A l’instar du système en vigueur aux Etats-Unis, Emmanuel Macron a par exemple annoncé qu’il réaliserait un «spoil system» (processus de révision des cadres de l’administration). Dans les six mois qui viennent, les nouveaux ministres seront ainsi appelés à évaluer les hauts fonctionnaires de leur administration. Ils seront ensuite confirmés ou remplacés. Près de 250 postes sont concernés par cette révision, faisant craindre une chasse aux sorcières ou aux sources des journalistes. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, les relations entre l’exécutif et la presse se sont en effet clairement durcies, à l’instar de la plainte déposée par la ministre du Travail Muriel Pénicaud après la publication par plusieurs médias de notes de travail provenant de sa propre administration.

Cet affaiblissement géné-ralisé –dans un pays où les leviers de pouvoir sont déjà constitutionnellement très concentré entre les mains du président– laisse augurer une conduite isolée et personnelle du quinquennat. Ce n’est pas l’entrée en fonction de la nouvelle Assemblée nationale qui affaiblira cette thèse. En grande majorité composé affidés à Macron, l’hémicycle réduit pour l’instant son travail en un soutien aveugle au président.

Ce jeudi, oubliant que son micro étant encore allumé, la présidente de la Commission des lois –pourtant membre de la majorité présidentielle– a ainsi laissé éclater sa colère: «Nous avons groupe parlementaire qui dort, qui est totalement vautré». Et ce n’est qu’un début.