Journaliste freelance
GÉNOCIDE DE 1994 AU RWANDA

Le rôle de la France dans le génocide Rwandais reste tabou

Vingt ans après les faits, l’association anti-colonialiste Survie a déposé lundi 2 novembre à Paris une plainte visant à éclaircir le rôle de l’État français dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. A l’inverse de la Belgique, les responsables politiques hexagonaux n’ont jamais souhaité établir la vérité sur le soutien de leur armée aux génocidaires.

Vingt longues années n'ont pas suffi à délier les langues, dépassionner les débats et tirer les conclusions du génocide le plus rapide de l'histoire. En 100 jours, du 7 avril 1994 au mois de juillet de la même année, 800 000 Rwandais, selon l'ONU, en majorité Tutsis, ont été assassinés dans la région des Grands lacs.

Porté au pouvoir par un coup d'État en juillet 1973, Juvénal Habyarimana deviendra rapidement un allié de la France, avec laquelle il passera ensuite des accords de coopération militaire et économique. C'est son assassinat le 6 avril 1994, au cours d'un attentat dont le déroulement reste non-élucidé, qui lancera une vague de violence inouïe de la communauté Hutu, alors au pouvoir, contre les Tutsi. Au moment du génocide, la France était donc un allié du régime mais jamais le rôle de ce «grand frère» européen dans les massacres n'a été officiellement reconnu. Une plainte vient ainsi d'être déposée, lundi, pour complicité de génocide.

L’association Survie, à la pointe du combat contre la Françafrique (action néo-coloniale de la France sur le continent africain), est à l'origine de la démarche afin d'obtenir la vérité sur de possibles livraisons d’armes de la part de la France aux génocidaires rwandais début 1994. Les autorités ont toujours assuré avoir cessé de fournir le régime en 1993, soit un an avant le début des massacres. Une thèse contestée par plusieurs témoignages et rapports, y compris de missions onusiennes. De même, le rôle de l'opération Turquoise, déploiement militaire organisé par la France en juin 1994 dans le cadre d'une résolution de l'ONU afin de «mettre fin aux massacres», «éventuellement en utilisant la force», est sujet à des interrogations.

La balle est donc désormais dans le camp de la justice. Car, sur le plan politique, aucune avancée ne semble encore possible quant à une éventuelle reconnaissance de la responsabilité de l'Etat dans le génocide rwandais. A la différence de la Belgique, ex-pays colonial, qui a désigné dès 1997 une commission d’enquête parlementaire et a présenté des excuses officielles à la nation rwandaise le 7 avril 2000.

Auteur de ‘Au nom de la France, guerres secrètes au Rwanda’, David Servenay voit trois raisons distinctes au blocage des élites politiques sur le sujet. Ce journaliste indépendant rappelle d'abord que les années 93-95 correspondent à une période de cohabitation droite-gauche. La France est bicéphale, avec le socialiste François Mitterrand à l'Elysée mais une majorité de droite au Parlement. «Les deux camps sont donc inextricablement mêlés à la politique initiée par François Mitterrand».

David Servenay dénonce aussi une «forme de 'corporatisme' de la classe politique », les nouvelles générations protégeant presque automatiquement l'action des anciennes. Enfin, le journaliste pointe aussi le risque judiciaire car, le génocide étant un crime imprescriptible, «tout un chacun peut être poursuivi, même des décennies après les faits...»

Les soutiens aux génocidaires auraient pourtant été nombreux. L'enquête Au nom de la France, guerres secrètes au Rwanda, pointe des responsabilités à trois niveaux : un premier cercle «politique», composé des très proches du président de la République; un deuxième cercle, celui de haut-fonctionnaires et officiers supérieurs, puis les officiers déployés au Rwanda (gendarmes ou membres de Forces spéciales).

Preuve que deux décennies plus tard le sujet reste brulant, le groupe parlementaire socialiste a empêché au dernier moment, en octobre, la tenue d'un colloque «Génocide contre les Tutsis : la vérité, maintenant !» à l'Assemblée nationale.

Outre l'opération Turquoise et les livraisons d'armes, des chercheurs, tel que l'historien Jean Pierre Chrétien, souhaitent aussi que soit considérée l'action historique des Européens dans le développement des tensions ethniques à l'origine génocide. «Dire qu'une «colère populaire» meurtrière aurait éclaté spontanément au lendemain de l’attentat du 6 avril (…) reflète un mépris inouï pour le peuple rwandais, traité comme un agrégat de hordes naturellement prêtes aux pires horreurs» dénonce M. Chrétien. De même, Amnesty International a dénoncé le fait que ce sont les Etats européens qui «ont appliqué la notion de race aux catégories sociales Tutsi et Hutu.» C'était en 2000. Il y a quinze ans déjà.